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— 1814 —

« Messieurs, j’ai pris connaissance de l’acte constitutionnel qui rappelle au trône de France le roi mon auguste frère. Je n’ai point reçu de lui le pouvoir d’accepter la constitution ; mais je connais ses sentiments et ses principes, et je ne crains pas d’être désavoué en assurant, en son nom, qu’il en admettra les bases.

Le roi, en déclarant qu’il maintiendrait la forme actuelle du gouvernement, a donc reconnu que la monarchie devait être pondérée par un gouvernement représentatif, divisé en deux Chambres, qui sont le Sénat et la Chambre des députés des départements ; que l’impôt sera librement consenti par les représentants de la nation ; la liberté publique et individuelle assurée ; là liberté de la presse respectée, sauf les restrictions nécessaires à l’ordre et à la tranquillité publique ; la liberté des cultes garantie ; que les propriétés seront inviolables et sacrées ; les ministres responsables, et pouvant être accusés et poursuivis par les représentants de la nation ; que les juges seront inamovibles ; le pouvoir judiciaire indépendant, nul ne pouvant être distrait de ses juges naturels ; que la dette publique sera garantie ; les pensions, grades, honneurs militaires seront conservés, ainsi que l’ancienne et la nouvelle noblesse ; la Légion d’honneur maintenue, le roi en déterminera la décoration ; que tout Français sera admissible aux emplois civils et militaires ; qu’aucun individu ne pourra être inquiété pour ses opinions et ses votes, et que la vente des biens nationaux sera irrévocable. Voilà, ce me semble, messieurs, les bases essentielles et nécessaires pour consacrer tous les droits, tracer tous les devoirs, assurer toutes les existences et garantir notre avenir. »

Le sacrifice, comme on voit, était complet ; le comte d’Artois l’avait porté si loin, que l’allocution qu’il venait de prononcer était sortie, non de son cabinet, mais de celui de M. de Talleyrand, où Fouché, revenu d’Italie l’avant-veille, l’avait rédigée. Le manuscrit de ce discours existe entre les mains d’un personnage qui avait alors ses libres entrées dans le cabinet du prince de Bénévent ; il est écrit tout entier de la main du duc d’Otrante ; quelques corrections insignifiantes y signalent seules la collaboration effective de M. de Talleyrand. Le comte d’Artois n’avait fait qu’un seul changement à la leçon de ses deux étranges précepteurs ; Fouché avait écrit dans le premier paragraphe, en parlant de la constitution sénatoriale et de l’adhésion probable du roi : « Je ne crains pas d’être désavoué en jurant, en son nom, d’observer et d’en