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M6 CORRESPONDANCE.

je fais, me blesse et me serre le coeur. Ménage-toi, je t’en conjure, pour reprendre bientôt tes forces; renonce, pour quelque temps, a toute sorte de lecture et de travail; rien n’épuise comme l’étude. J’_aurais bien voulu savoir la cause de ta maladie, tu ne m’en parles presque pas; a quoi l’a-t-on attribuée? tous les maux ont une excuse : que t’ont dit les médecins?

Je ne suis point surpris de la sécurité avec laquelle tu as vu les approches de la mort; il est pourtant bien triste de mourir dans la fleur de la jeunessel Mais la Religion, comme tu dis, fournit de grandes ressources; il est heureux, dans ces moments, d’en étre bien convaincu. La vie ne parait qu’un instant auprès de l'éternité, et la félicité humaine, un songe; et, s’il faut parler franchement, ce n’est pas seulement contre la mort qu’on peut tirer des forces de la Foi; elle nous est d’un grand secours dans toutes les misères humaines : il n’y a point de disgraces qu’elle n’adoucisse, point de larmes qu’elle n’essuie, point de perte qu’elle ne répare; elle console du mépris, de la pauvreté, de l’infortune, du défaut de santé, qui est la plus rude affliction que puissent éprouver les hommes, et il n’en est aucun de si humilié, de si abandonné, qui, dans son- désespoir et son abattement, ne trouve en elle de l’appui, des espérances, du courage. Mais cette meme Foi, qui est la consolation des misérables, est le supplice des heureux* ; c’est elle qui empoisonne leurs plaisirs, qui trouble leur félicité présente, qui leur donne des regrets sur le passe, et da craintes sur l’avenir; c’est elle, enfin, qui tyrannise leurs passions, et qui veut leur interdire les deux sources d’on`1 la nature fait couler nos biens et nos maux, l’amour—propre ’ et la volupté, c’est-a·dire tous les plaisirs des sens, et toutes les joies du coeur; car la seule chose qu’elle nous permette,

• Voir la note de la page xxxvn dc l’Eloge dc Vauvenargues. — Voir aussi la Maximo 323•— G.

• Ici, comme presque toujours, Yauvenargzucs entend par amour-propre, l'amour de soi. — G I