Page:Vauvenargues - Œuvres posthumes éd. Gilbert.djvu/179

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I K CORIIESPONDANCE. 163 Je vous avouerai d' abord , fort naturellemeut, que si j’étais ue a la cour, ou plus pres que je n’en suis, je ne m’y serais point déplu ou ennuyé autant que vous. Je ne vois point ce pays-la des memes yeux; j’y crois démeler des agréments qui peuvent toucher l’esprit; je n’y vois point ce qui vous cheque :j’y vois, au contraire, le centre du goth, du monde, de la politesse, le coeur, la. tete de l’Etat, ou tout aboutitet fermente, d’0l`1 le bien et le mal se répandent partout; j’y vois le séjour des passions, oi1 tout respire, ou tout est anime, ou tout est dans le mouvement; et, au bout de tout cela, le spectacle le plus orné, le plus varié, le plus vif, que You trouve sur la terre. Les personnages, il est vrai, n’y sont pas trop gens de bien, le vice y est dominant; tant pis pour ceux qui ont des vices! Mais, lorsqu’on est asses heureux pour avoir de la vertu, c’est, e mon sens, une ambition tres-noble que celle d’élever cette meme vertu au sein de la corruption, de la faire réussir, de la mettre . au-dessus de tout, d' exercer et de protéger des passions sans reproche, de leur soumettre les obstacles, et de se livrer aux penchants d’un coeur droit et magnanime, au lieu de les combattre ou de les cacher dans la retraite, sans les satisfaire, ni les vaincre; je ne sais rien meme de si faible et de si vain, que de fuir devant- les vices, ou de les hair 38118 mesure; car on ne les haitjamais que parce qu’on les craint, par représailles; ou par vengeance, parce qu'on en est mal traité; mais un peu de grandeur d’Ame, quelque connaissance du coeur, une bumeur douce et tacite, empe- de jour et de lumiére sur lui-meme; il tire le rideau, comme il le dit encore, et, du premier coup, il montre A son ami que, en fait d’a.mbition , il le dé- paase, et ne s’lmpose pas les memes limites. Aux déclamations banales de Mi- rabeau contre la cour et les courtisans, Vauvenargues répond qu’il n’a pas les memes delicatesses, et que la cour lui paralt etre le vrai champ des ambitieux, meme honnetes. Il n’échappera pas au lecteur attentif, qu’a mesure que cette intéressante correspondence descend plus A fond, elle change de caractere : dans les premieres lettres, Mirabeau sembleavoir le de; mais, des que Vau- venargues sort de sa reserve, il prend toute la place, pour ainsl dire; il ar- rive alors, entre les deux correspondents, comme dans un entretien entre deux interlocuteurs, dont l’un est superieur A Pautre; plus l’un s’éleve, plus l’autre baisse. — G.