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Page:Verhaeren - Œuvres, t9, 1933.djvu/96

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œuvres de émile verhaeren
Cueillent les lourdes fleurs des fortunes précoces ;

Ils ont acquis, aux angles clairs des carrefours,
Vingt maisons à pignons, dont les larges enseignes,
À celui qui s’en va ou s’en revient, renseignent
Quelle bière éclatante et vivante on y sert.
Oh ! la pinte vidée, à la hâte, en plein air,
Et l’orgueil de sentir au fond de soi descendre

La sève en or des grains et des houblons de Flandre !


Voici quinze ans bientôt que le brasseur travaille

Et que la vie, avec ses vœux et ses souhaits,
Se serre, ici, là-bas, partout, entre les mailles
Qu’il noue en chaque rue autour d’un cabaret ;
De faubourg en faubourg, son renom règne à l’aise.
Parmi les francs buveurs qui tanguent sur leur chaise,
Dès qu’il paraît, il paie à boire et dûment boit,
Et sa parole alors est parole de poids,

Et son geste est suivi aussi loin qu’il les mène.


Si bien que la boisson qu’il vend chaque semaine

Se répand dans la ville, orientant vers lui,
De maison en maison, les cœurs et les esprits ;
Elle est la force lourde et la lente pensée
Dont s’émeuvent encor les cervelles tassées ;
Et tels jours de scrutin où le pouvoir a peur,

Elle est celle qui chauffe, à feu brusque, l’ardeur