Page:Verhaeren - Deux Drames, 1917.djvu/86

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L’airain de mon autorité s’est assourdi ;
Il ne résonne plus, sous son battant hardi,
Dans le silence et la ferveur des consciences.
Mes bras sont las, j’ai soixante dix ans ce soir ;
Je ne puis qu’en tremblant soulever l’ostensoir
Sur la foule. La mort rôde dans ma poitrine ;
Je suis un mur qui tombe et meurt, une ruine
Dont la tour veut, quand même, encor, rester debout ;
J’aurai été, dans ces âges mornes et mous,
Le dernier grand prieur de force autoritaire.
Moi sous terre, Dieu sait en quels fangeux remous
S’engloutira ce monastère !

(Un silence.)

Je ne vois plus personne, sinon toi, toi seul, Dom Militien, qui me puisses succéder.

DOM MILITIEN

Moi ! mais ne suis-je point vaincu moi-même, si vous l’êtes ? Ne suis-je point las, malade, inutile, à deux doigts de ma tombe ? Peut-on savoir qui de nous deux enterrera l’autre ? Nous avons achevé notre œuvre d’accord avec celle de Dieu, et tous les deux, nous partirons en paix. (Un silence.) Au reste, quand Balthazar aura vaincu sa propre crise, il triomphera de l’autre.