Page:Verhaeren - James Ensor, 1908.djvu/122

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fendent et leurs lignes rangées et pointues s’étendent devant elle, comme une succession de haies où flotteraient, ci et là, des drapeaux. Le lion noir de Flandre orne la plus haute bannière.

À gauche, mais à l’arrière-plan, apparaissent les chevaliers français sur leurs chevaux rapides et ployés en arc de cercle. Cimiers, panaches, lances, épées, bannières, tout flotte ou se dresse au vent. Derrière eux un incendie s’allume et l’horizon est peuplé de nuages capricieux et tourmentés.

Au milieu la bataille : foulons, tisserands, bouchers assaillent et désarment les ducs et les barons. Des jambes, des têtes, des bras encore armés de fer et d’acier gisent à terre. On a coupé les corps comme aux abattoirs. Un cheval est tombé pattes en l’air, une flèche fixée au gras de sa croupe. Voici un communier pendu à la queue d’un coursier ; un autre se soulage et fait un pied de nez aux charges qui approchent. Les chevaux ruent, s’effrayent, s’abattent. Une mêlée grotesque s’éparpille en mille actions non pas d’éclat, mais de gaieté baroque et de risée. L’invention est spontanée, abondante, joyeuse. On assiste à une dépense de jovialité narquoise et d’humeur pavoisée. Les drapeaux qui flottent, les armes qui se dressent, les rayons du soleil, les banderoles des nuages ne sont présentés à la vue que comme décors fictifs et lignes ornementales. La Bataille des Éperons d’or est une kermesse où l’on tuerait pour s’amuser, où l’on tomberait pour se distraire, où l’on mourrait pour avoir le plaisir de faire une grimace. Le Triomphe romain s’apparente à la Bataille des Éperons. La composition en est moins originale et les lignes