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Page:Verhaeren - James Ensor, 1908.djvu/145

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singuliers interviennent et la camarde semble faucher le vide au-dessus des combattants. On croirait que le cuivre est griffé au moyen d’un clou. Toute autre est l’abondante et grasse et croupissante et savoureuse Gourmandise (1904). Bien que les deux personnages assis vomissent leur nourriture et que la Mort leur serve un homard et qu’un chien, sur le dossier d’une chaise, compisse l’un d’eux et qu’une tête coupée s’étale sur un plat, le petit drame gastronomique se caractérise par une jovialité amusante. Un tableau pendu au mur réjouit par son dessin preste : il représente des porcs qu’on tue, dans un village sur la place, et certes les deux bâfreurs assis ou plutôt affalés à leur table ne se doutent point qu’ils méritent un semblable trépas. L’énorme cochon qui se hisse dans un coin, la langue pendante, semble seul distraire le plus gros des convives et son œil oblique s’en va vers le groin tendu ou vers le homard que la mort apporte, presque amoureusement. Enfin la Paresse (1902) représente deux dormeurs, un homme et une femme, enfoncés dans leur couche. Un lutin ricaneur chatouille l’œil de la dame. Un squelette détraque une horloge et enlève une aiguille. Par la fenêtre, on aperçoit des paysans qui moissonnent, des ouvriers qui brouettent, des valets qui bêchent, des gens de peine qui transportent des fardeaux, des soldats à l’exercice, des trains qui roulent et tout au loin une ville énorme dont les usines s’acharnent et fument sous le riant soleil. Dehors il fait grand jour, mais les dormeurs baîllants se calfeutrent et de lents escargots rampent sur leurs draps. Un petit démon, sur la table de nuit, éteint, d’un pet, la bougie.