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peintre. Il remporta toutefois le deuxième prix de dessin de tête antique.

Revenu à Ostende il se forme lui même. Toutefois restent suspendues au mur de son atelier deux compositions faites à l’Académie : Oreste tourmenté par les Furies et Judas lançant l’argent dans le Temple. On comprend que d’authentiques professeurs se soient étonnés devant ces peintures. Le ton y est déjà très particulier. Les personnages baignent dans une lumière argentée ; aucun trait n’est sec ni maigré. Aucun geste conventionnel, ni appris. La scène n’est point soulignée par la présentation à l’avant-plan du protagoniste principal, soit Judas, soit Oreste. C’est le groupe qui intéresse ; c’est l’ensemble ; c’est l’action totale. Des rouges sonnent sur un fond d’argent. Les défroques sont plutôt romantiques que classiques ou bibliques. Le dessin académique est tout entier mangé par la couleur. Ces deux toiles sont déjà de la vraie peinture ensorienne.

L’année 1880 fut une année admirable pour James Ensor. Son vrai début date de ce temps. Il lit beaucoup. La littérature n’a jamais ému les peintres belges. En ce temps là, surtout, leur ignorance se dressait monumentale. Ils avaient peur d’orner leur esprit pour ne point courir le danger de sacrifier à l’imagination. On sait ce que cette crainte puérile a produit. Au dernier Salon d’automne (1907) à Paris, le principal grief qu’on fit à notre exposition rétrospective fut de manquer d’intellectualité ou plutôt d’intelligence.

Je n’ignore point qu’un peintre littéraire est un peintre dévoyé. Je sais que l’œil et non pas l’esprit doit dominer dans les arts plastiques. Nul plus que moi ne