Page:Verhaeren - James Ensor, 1908.djvu/184

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à courir et l’amende à payer n’eussent arrêté les mains bien pensantes et les couteaux croyant à l’idéal.

Les fureurs grinçant des dents contre Manet se tournèrent à point nommé contre James Ensor. Autant que le peintre des Batignolles il fut accusé d’instaurer en art une sorte de Commune et d’inscrire sa doctrine esthétique aux plis d’un drapeau rouge. Bien plus : sans égard pour les dates d’antériorité qui marquaient les toiles du peintre d’Ostende, on les proclamait dépendantes et vassales de celle de Manet, on leur refusait tout mérite jusqu’à celui d’être des sujets de scandale inédits. L’erreur persista longtemps et persiste encore. On s’entêta et l’on s’entête à ranger James Ensor parmi les élèves de Manet. Rien n’est plus faux. Les deux maîtres n’ont qu’un point de contact : tous les deux peignent à larges touches et tous les deux étudient la lumière frappant mais surtout modifiant le dessin et le ton local des objets.

Mais que de différences immédiatement s’accusent ! Manet reste, somme toute, un peintre de tradition et d’enseignement. Les Espagnols l’ont formé : Velasquez et surtout Goya. Le jour que son Olympia fit son entrée au Louvre, elle se plaça, naturellement, en son milieu. La rampe l’attendait. Elle voisina, sans déchoir, avec les toiles d’Ingres et de Delacroix. Sa victoire fut même trop belle : l’Odalisque du vieil Ingres se sentit atteinte dans son rayonnement de chef-d’œuvre soi-disant parfait. Jamais elle n’apparut plus sèche, plus figée ni plus froide. En outre, Manet compose ses toiles. L’Olympia, le Christ aux anges, le Déjeuner sur l’herbe, Maximilien, sont des œuvres dont la mise en