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qui sont venus. Si bien que ses toiles qui datent de vingt-cinq ans recèlent toute la fraîcheur et la surprise des œuvres d’aujourd’hui. Il les peut exposer avec orgueil. Aucune ne déchoit. Quelques-unes serviront peut-être à renflouer les vieilles carènes de l’École d’Anvers où de tout jeunes peintres Navez et Crahay travaillent avec le souvenir de l’œuvre d’Ensor présente à leur esprit.

Preuve évidente de force profonde et souterraine ! Quelqu’un qui reste aussi durablement jeune ne vieillira jamais. Il porte en lui la résurrection incessante. Il vit de lui-même, mystérieusement. Déjà il ne connaissait plus la mode, voici qu’il ignore le temps.

Il n’importe que James Ensor soit ignoré en Allemagne, en Angleterre, en Italie et en Amérique. Il est classé en Belgique et à cette heure on le classe en France. Or, c’est Paris qui, depuis un siècle, assume l’honneur d’auréoler les noms des vivants insignes. Il est la postérité qui s’éveille ; il désigne les routes par où passe la gloire ; il semble d’accord avec une volonté lointaine et encore inconnue. En son pays la renommée de James Ensor grandit d’année en année. Ceux qui le méconnaissaient autrefois sont morts ou sont vaincus. On ne relègue plus ses envois dans les oubliettes des salons triennaux : ils s’étalent à la cimaise, aux places d’honneur. Les musées des grandes villes s’en enrichissent : Liège, Anvers, Bruxelles. Les mécènes qui villégiaturent à Ostende, l’été, visitent l’atelier du peintre et leurs galeries se décorent de ses toiles. Les prix atteints sont élevés. L’heure est déjà loin où les œuvres du peintre s’échangeaient contre une obole. Certes l’art