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L’effigie qu’Henri de Groux vient de nous donner de James Ensor nous le représente robuste et presque gras. Les cheveux grisonnent, le teint s’enlumine, l’allure est massive. L’appuie-main tenu entre les doigts fait songer vaguement à quelque sceptre. Ensor semble commander à son art dont une page caractéristique se devine au fond de la toile. Le voici donc tel que l’âge mûr le définit. Au surplus l’œuvre compte et s’affirme excellente.

Toutefois j’aime à me souvenir d’un tout autre James Ensor, celui que je connus, il y a vingt ou vingt-cinq ans, avec un corps svelte, un teint pâle, des yeux clairs, des mains longues fiévreuses et fines. Non pas un dandy, car une mise négligée presque toujours rejetait cette comparaison, mais une sorte de jeune parlementaire britanique qui faisait songer à Disraeli.

James Ensor parlait peu, se tenait sur la réserve, avec un air fermé et craintif. On lui prêtait un caractère difficile et ombrageux. Il avait certes, la pleine conscience de sa force naissante ; il n’admettait aucune restriction sur l’entière personnalité de son art et se rebiffait, dès que l’ombre d’une injustice l’effleurait dans la mêlée de la vie. La haine de la critique bouillonnait en lui, comme chez tous les artistes vrais et impérieux. Il ne pouvait admettre qu’on ne le comprit pas et que sa peinture qui lui paraissait toute simple et naïve ne s’imposât point, du premier coup, grâce à sa sincérité absolue. Il oubliait la difficulté ardue, que rencontre tout esprit dès qu’il veut pénétrer de sa lumière à lui quelqu’autre esprit fut-il voisin du sien et combien le baptême de l’hostilité et du dénigrement est salutaire à