Page:Verhaeren - James Ensor, 1908.djvu/65

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des Beaux-Arts, rue de la Régence. Au milieu des œuvres jeunes qui sollicitaient par leur tapage et leur inexpérience, celle-ci proférait on ne sait quoi de grave, d’apaisé et de sévère. Elle était conçue par grands plans : des bleus, des noirs, des blancs réalisaient sa très simple harmonie. À droite, la clarté, tombant d’une fenêtre à travers des rideaux pâles, baignait le front d’un homme qui lisait. Une cheminée en marbre occupait le fond, à gauche. La figure était attentive à sa lecture. Et le silence régnait. La profondeur du ton, sa solidité, sa force commentait seule l’intensité de cette scène. C’était donc par des moyens uniquement picturaux que l’attention était fixée et l’impression produite. Aucune distraction n’était permise. C’était de la vie nue montrée dans sa réalité quotidienne, sans plus.

L’après-midi à Ostende — refusé en 1884 au Salon de Bruxelles — qui fut peint dans la même année que le Portrait de mon père (1881) nous attire, par contre, grâce à son charme abondant de tons variés. L’étoffe multicolore d’un tapis de table, les éclats métalliques d’un foyer, la décoration des lampes de la cheminée, les jupes et les corsages des deux personnes assises face à face permettent au peintre le jeu d’une admirable harmonie sourde et comme étouffée, malgré la violence locale des objets, hauts en couleur. Tout ici est en sourdine. La distinction des tons est parfaite. Un authentique peintre flamand aurait fait sonner comme une fanfare et les cuivres et les aciers et les étoffes. Il y aurait eu heurt, choc et tintamarre. C’eût été une exaltation dans la force. Ensor a réalisé un apaisement dans la délicatesse. Mais pour que tout fût maintenu, avec