Page:Verhaeren - James Ensor, 1908.djvu/73

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comme thèmes quelques sujets bibliques, le peintre se hausse soudain jusqu’au rôle de visionnaire. Les personnages n’occupent, dans mainte de ses toiles étonnantes, qu’un place minime. À première vue on ne les y distingue guère. Il les y faut chercher. Ils paraissent faire partie des éléments : vents, nuages, flots, soleils. Les maîtres anciens donnaient invariablement dans leurs œuvres la place prépondérante aux actions humaines. Dans le déploiement des légendes à travers la peinture universelle, les Dieux et les hommes existent seuls. Mais au fur et à mesure que l’idée de force s’est déplacée et modifiée et que l’humanité comprend que l’être humain n’est qu’un tourbillon de pensée emportée dans le vertige des puissances cosmiques, l’importance de ses gestes a décru.

Le Christ marchant sur la mer est conçu d’après les mêmes pensées. C’est la mer, c’est le ciel qui remplissent de leur immensité la toile entière. À peine une auréole, à peine une lueur se dégageant d’une forme vague, indique-t-elle le prodigue.

Dans Adam et Ève chassés du Paradis (1887) ces précédentes remarques se vérifient mieux encore. La page est merveilleuse. Les cieux remués de miracles tonnants et foudroyants occupent à peu près toute la toile. Des trombes de vents passent, des lueurs formidables apparaissent, tout le vertige de l’atmosphère est rendu. Vraiment, c’est une colère céleste qui se gonfle, qui voyage et qui éclate. L’ange exterminateur semble être à lui seul toute la nuée. À droite, avec des mouvements de fuite et de terreurs et comme brûlés par l’épée vengeresse, apparaissent Adam et Ève. Ils sont là, dans