Page:Verhaeren - James Ensor, 1908.djvu/98

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semble bannie, évoluent le masque Wouse et Saint Antoine, les diables Dzitss et Hihahox, les pouilleux Désir et Rissolé, les soudards Kès et Pruta et l’on y rencontre la ville de Bise et le territoire de Phnosie. Rien que ces appellations et ces noms, venus d’on ne sait quelle région d’un cerveau hanté, renseignent sur la très spéciale imagination d’Ensor. Au reste, pour animer pendant vingt-cinq ans un peuple aussi grouillant d’êtres chimériques et les douer d’une psychologie aussi étonnamment variée, fallait-il que le monde de la démence fût naturellement pour le peintre un monde de prédilection et de choix. Certes, croyait-il à tout l’invraisemblable, à tout le baroque, à toute la folie et ne recouvrait-il la lucidité qu’à l’heure où il s’asseyait devant sa toile et choisissait ses couleurs et harmonisait ses tons. Il a réalisé admirablement cette vie double.

Le Masque Wouse (1889) apparaît un des premiers. Il est vêtu d’un schall discrètement et magnifiquement bariolé de rouge, de vert, de jaune, de bleu, il tient en main un parasol, est coiffé d’un bonnet et le nez de son visage en carton s’agrémente d’une pendeloque légère. Il regarde, gisants devant lui comme autant de marionnettes flasques, d’autres êtres semblables à lui et l’on dirait quelqu’un visitant soit une morgue de pantins, soit, après un combat, le champ d’une défaite. L’œuvre où s’épand une clarté diffuse est délicatement peinte, les étoffes sont flottantes et légères, l’atmosphère jolie. Elle contraste et voisine, dans l’atelier de l’artiste, avec les Masques singuliers (1892) mis en rangs, comme s’ils s’attendaient à être passés en revue par les soudards Kès ou Pruta. Ils reviennent, Dieu sait de quelle parade,