Page:Verhaeren - Les Forces tumultueuses, 1902.djvu/13

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Le vaisseau clair revint, un soir de bruit
Et de fête, vers le rivage,
D’où son élan était parti ;
Certes, les mâts dardaient toujours leur âme,
Certes, le foc portait encor des oriflammes,
Mais les marins étaient découronnés
De confiance et les haubans et les cordages
Ne vibraient plus, comme des lyres sauvages.
 
Le navire rentra comme un jardin fané,
Drapeaux éteints, espoirs minés,
Avec l’effroi de n’oser dire à ceux du port
Qu’il avait entendu, là-bas, de plage en plage,
Les flots crier sur les rivages
Que Pan et que Jésus, tous deux, étaient des morts.

Mais ses mousses dont l’âme était restée
Aussi fervente et indomptée
Que leur navire à son départ,
L’amarrèrent près du rempart ;
Et dès la nuit venue, avec des cris de fête,
Ils s’en furent dans la tempête,
Tout en sachant que l’orage géant
Les pousserait vers d’autres océans