Page:Verhaeren - Les Forces tumultueuses, 1902.djvu/57

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Mais la clarté du ciel sait bien qu’il est allé
Souvent, loin des cités, en plein pays de bois,
Près d’un marais mortel couleur d’encre et de poix,
Dont le sol noir de moisissure est tavelé,

Chérir éperdument la vie orde et bannie,
La vie humble et proscrite, en des exils si tristes,
Que seuls, le houx, l’ortie et les ronces persistent
À croître, en de tels lieux de lèpre et de sanie.

Qu’il y vécut d’une existence ardente, seul ;
Le cœur penché vers l’ombre et la pitié, le cœur
Fervent, le cœur enfin sauvé par la douceur
D’avoir à soi ces fleurs de mort et de linceul,

De les aimer et de se croire aimé par elles ;
Avec leurs dents, leurs dards et leur fureur tactile,
De les serrer sur soi comme un cilice hostile,
Dont on savoure enfin les morsures cruelles,

Si bien qu’en ce jour même, où l’ombre et le soleil
Versent la pourpre et l’or sur la ville qui luit
Et la fête qui chante et qui gonfle son bruit,
S’il rayonne, le torse droit, le front vermeil,