Page:Verhaeren - Les Héros, 1908.djvu/23

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
10


Les îles de la mer y rappelaient encor
Les anciens paradis d’où s’envolaient les anges.
Tel matin de moisson ou tel soir de vendange,
La lumière y versait un tel enivrement,
Au crépuscule et à l’aurore,
Qu’on la buvait, superbement,
Par tous les pores,
Comme le sang même du firmament.

En Flandre, oh ! que la vie était voilée et sombre.
Et faite avec du froid et faite avec de l’ombre :
Sur des morceaux de sol que divisaient les eaux,
Quelques maisons de bois, quelques murs de roseaux
Peuplaient, sous le ciel bas, l’ample étendue humide.
Semeurs prudents, colons timides
Mais tenaces jusqu’à l’entêtement,
Jetaient, dans les sillons, le chanvre ou le froment
Et recueillaient et travaillaient la laine
Des troupeaux blancs
Parqués, sous un chaume branlant,
Ici, là-bas, plus loin, jusques au bout des plaines.
L’homme y servait, depuis mille ans, les Dieux
De la foudre sinistre et des cieux orageux.