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Et telle était la haine en feu, sous tous les fronts,
Qu’à défaut de grandeur on aurait pu en vivre.

Mais l’Escaut était mort, d’Anvers jusqu’à la mer :
Les villes languissaient auprès des vastes landes ;
L’effort âpre et tendu, le travail large et clair,
Qui sont le bel orgueil de la santé flamande,
Se corrodaient ainsi que des leviers cassés.
Les jours se succédaient sans gains et sans récoltes,
Et sur l’énorme amas des vieux espoirs lassés
Les bras laissaient dormir les poings de la révolte !

Soudain passa la guerre et ses carnages fous :
Les grand’routes sonnaient, de l’un à l’autre bout
Du pas myriadaire et compact des armées ;
Les fermes rougeoiaient dans le soir allumées ;
Du sang éclaboussait les murailles des bourgs ;
L’Europe se battait chez nous, étant chez elle,
Et l’on n’entendait plus que la plainte éternelle
Et vaine immensément des cloches dans nos tours.
Aerschot et ses sablons, Graveline et ses dunes,
Et les monts d’Audenarde et les champs de Menin,