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II



Pourtant, après des ans et puis des ans, un jour,
Ève sentit son âme impatiente et lasse
D’être à jamais la fleur sans sève et sans amour
D’un torride bonheur, monotone et tenace ;
Aux cieux, planait encor l’orageuse menace
Quand le désir lui vint d’en éprouver l’éclair.
Un large et doux frisson glissa dès lors sur elle
Et, pour le ressentir jusqu’au fond de sa chair,
Ève, contre son cœur, serrait ses deux mains frêles.
L’archange, avec angoisse, interrogeait, la nuit,
Le brusque et violent réveil de la dormeuse
Et les gestes épars de son étrange ennui,
Mais Ève demeurait close et silencieuse.