Page:Verhaeren - Les Tendresses premières, 1904.djvu/69

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Oncles, tantes, cousins, parrain, marraine,
Sanglés, fourbis, passementés,
Prirent leur place à mes côtés.
J’étais comme une barque, au milieu des carènes
Formidables, dans les bassins d’Anvers.
Des vins pourpres comme des pivoines
Coulaient ; des flacons d’or et de sardoine
Brillaient, avec des feux de lumière au travers ;
On racontait les anciennes mêlées
Des grands buveurs qui étonnaient la mort ;
Le sang qui bondissait, dans leurs veines gonflées,
Semblait du vin fumant encor.
Leur souvenir passait comme en tempête
Et les rires et les jurons et les cris fous
Incendiaient si fortement les têtes
Que j’en pris peur et m’en allai je ne sais où,
Dans un recoin de la maison profonde,
Prier pour ceux qui outrageaient mon Dieu.


Ô les bons souvenirs de mon enfance blonde
Comme ils me réchauffent encor, avec leurs feux !
Rires ou deuils, joie ou crainte, qu’importe !
Toute la vie est là, sur le seuil de la porte,

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