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Les yeux clos des joyaux, la fable
Des batailles entre hommes et dragons
Mêlaient leurs souvenirs en tourbillons ;
J’étais le miroir vague et formidable,
J’étais le carrefour, où tout se rencontrait ;
Le sol, le roc, le feu, la nuit et la forêt
Semblaient les substances mêmes de ma pensée ;
Je m’emplissais de peur ; j’étais comme insensé
De vivre et de sentir tant de siècles frémir,
En cet instant du temps que je serai dans l’avenir.

Mon âme était anxieuse d’être elle-même ;
Elle s’illimitait en une âme suprême
Et violente, où l’univers se résumait ;
Sur la vie et la mort planait même visage,
Je ne distinguais plus leur forme au fond des âges ;
Tout me semblait présent et je me transformais
Moi-même et je me confondais, avec un être immense
Qui ne voit plus quand tout finit, quand tout commence,
Ni pourquoi la tragique humanité
Avec ses cris, avec ses pleurs, avec ses plaintes,
Traîne ses pas marqués de sang, au labyrinthe
De la nocturne et flamboyante éternité.

Ce mont,
Avec son ombre projetée,