Page:Verhaeren - Les Visages de la vie, 1899.djvu/61

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Leur désespoir superbe et leur douleur enivrent,
Car, au delà de l’agonie, ils ont planté,
Si fortement et si tragiquement, leur volonté,
Que leur poussière encore est pleine
Des ferments clairs de leur amour et de leur haine.
Leurs passions, bien qu’aujourd’hui sans voix,
S’entremordent, comme autrefois,
Plus féroces, depuis qu’elles se sentent
Libres, dans ce séjour de la clarté absente.

Regard d’orgueil, regard de proie,
Fondent l’un sur l’autre, sans qu’on les voie,
Pour s’abîmer ou s’absorber, en des ténèbres.
Autour des vieux granits et des pierres célèbres,
Parfois, un remuement de pas guerriers s’entend
Et tel héros, debout en son orgueil, attend
Que, sur le socle orné de combats rouges,
Soudain l’or et le bronze et la bataille bougent.

Tout drame y vit, les yeux hagards, le poing fermé,
Et traîne, à ses côtés, le désespoir armé ;
L’envie et le soupçon aux carrefours s’abouchent ;
Des mots sont étouffés, par des mains, sur des bouches ;
Des bras se nouent et se dénouent, ardents et las ;
Dans l’ombre, on croirait voir luire un assassinat ;
Mille désirs qui se lèvent et qui avortent,