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les moines

Et fait crier ton cœur d’angoisse et de détresse.
Mais ton humilité, c’est encor de l’orgueil :
Tu restes roi, dans ta servitude claustrale,
Dans ton obéissance à tous et dans ton deuil.
La règle en sa vigueur grave et préceptorale,
Dont les convers pieux suivent les sentiers d’or,
Tu l’exagères tant que c’est toi qui domines.
Ton front est fier, tes yeux victorieux encor,
Les lins de tes manteaux ont des blancheurs d’hermines,
Tu porteras, un jour, la crosse et le camail,
Et tes frères craindront tes rages catholiques,
Loup superbe, rentré géant dans le bercail.
Oh ! quel effondrement d’espoirs hyperboliques,
Et quels rêves tués doivent joncher ton cœur,
Et quel rouge brasier doit enflammer ton torse,
Et quel étreignement doit te saisir, vainqueur,
Et te sécher la langue et te briser la force
Quand tu songes, le soir, aux jours qui sont passés !

Tu montais autrefois aux palais de la vie,
Le cerveau grandiose et les sens embrasés ;
Les beaux désirs ainsi qu’une table servie
S’étalaient devant toi sur des terrasses d’or ;
Des escaliers, dont les marches comme des glaives