Page:Verhaeren - Poèmes, t1, 1895, 2e éd.djvu/277

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
271
les moines

Car il ne reste rien que l’art sur cette terre
Pour tenter un cerveau puissant et solitaire
Et le griser de rouge et tonique liqueur.

Quand tout s’ébranle ou meurt, l’Art est là qui se plante
Nocturnement bâti comme un monument d’or,
Et chaque soir, que, dans la paix, le jour s’endort,
Sa muraille en miroir grandit étincelante
Et d’un reflet rejette au ciel le firmament.
Les poètes, venus trop tard pour être prêtres,
Marchent vers les lueurs qui tombent des fenêtres
Et reluisent ainsi que des plaques d’aimant.
Le dôme ascend si haut que son faîte est occulte,
Les colonnes en sont d’argent et le portail
Sur la mer rayonnante ouvre au loin son vantail
Et le plain-chant des flots se mêle aux voix du culte.
Le vent qui passe et qui s’en vient de l’infini
Effleure avec des chants mystérieux et frêles
Les tours, les grandes tours, qui se toisent entre elles
Comme des géants noirs de force et de granit,
Et quiconque franchit le silence des porches
N’aperçoit rien, sinon, au fond, à l’autre bout,
Une lyre d’airain qui l’attend là, debout,
Immobile, parmi la majesté des torches.