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poèmes

L’orgie avance et flambe. Une urine puante
Mousse en écume blanche aux fentes du trottoir.
Des soulards assommés tombent comme des bêtes ;
D’autres vaguent, serrant leurs pas, pour s’affermir ;
D’autres gueulent tout seuls quelques refrains de fêtes
Coupés de hoquets gras et d’arrêts pour vomir.
Des bandes de braillards font des rondes au centre
Du bourg ; et les gars aux gouges faisant appel,
Les serrent à pleins bras, les cognent ventre à ventre,
Les lâchant, les cherchant, dans un assaut charnel,
Et les tombent, jupons levés, jambes ruantes.
Dans les bouges — où la fumée en brouillards gris
Rampe et roule au plafond, où les sueurs gluantes
Des corps chauffés et les senteurs des corps flétris
Étament de vapeur les carreaux et les pintes —
À voir des bataillons de couples se ruer
Toujours en plus grand nombre autour des tables peintes,
Il semble que les murs sous le heurt vont craquer.
La soûlerie est là plus furieuse encore,
Qui trépigne et vacarme et tempête, à travers
Des cris de flûte aiguë et de piston sonore.
Rustres en sarreaux bleus, vieilles en bonnets clairs,
Gamins hâves, fumant des pipes ramassées,
Tout cà saute, cognant des bras, grognant du groin,