Page:Verhaeren - Rembrandt, Laurens.djvu/112

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Certes Walteau, Chardin, Fragonard sont des artistes hors ligne, mais combien leur génie est éloigné de celui d’un Rembrandt ! Où celui-ci ne cherche que l’émotion simple, que la force nue et profonde, que le pathétique sanglotant et criant, eux instaurent la grâce et la clarté. Leur humanité modère ses pleurs, voile sa détresse, enchante sa folie. Ils veulent que la vie avec toutes ses misères soit une fête quand même et que la beauté soit, avant tout, un sourire.

Heureusement que déjà, même du vivant de Rembrandt, une rare élite d’amateurs d’art recueillit ses toiles, avec intelligence. Elles attendirent là, patiemment, l’heure de la justice. En Angleterre, en Allemagne, en Russie, en Suède, elles émigrèrent. On leur réserva une place aux murs d’un château, dans la chambre d’un bourgeois riche, quelquefois au fond d’une salle d’édifice public. Ni les églises, ni les temples ne leur furent hospitaliers.

Mais pour que toute la gloire qu’elles portaient en elles apparût, il fallait que se levât notre âge avec son amour effréné de pathétique, de drame et de vie. Il fallait que l’on se reprît à étudier la peinture en son essence, c’est-à-dire à y chercher l’harmonie des couleurs, des tons et des valeurs. Il fallait, enfin, que, négligeant l’art de David qui est, avant tout, sculptural, l’art des Romantiques qui est, avant tout, littéraire, on s’éprît de maîtres qui manifestent la grandeur et la profondeur de leurs conceptions, uniquement avec les moyens de la peinture. Rembrandt est de ceux-là : puisque tout ce qu’il traduit, quelle qu’en