Page:Verhaeren - Rembrandt, Laurens.djvu/75

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forces humaines. C’est la toile du monde où un peintre sous l’enveloppe parlante de la ligne et de la couleur a renfermé le plus de réalité muette et divine.

Quand Henriette Stoffels entre dans sa vie, lui apportant avant la chute extrême quelques années de joie dernière, Rembrandt, dirait-on, se rejette en plein dans son rêve. De cette servante qui consent, malgré les rigueurs et les avertissements des pasteurs de sa paroisse, à devenir et à rester sa maîtresse, il fait, comme il fit de Saskia, la reine de ses illusions et de ses chimères. Son art de visionnaire la pare, la fête et la célèbre. Dans le portrait (1649 ?) du Louvre, elle est vêtue d’une pelisse dorée ; des bijoux ornent sa poitrine, des bracelets chargent ses poignets, d’énormes et précieux pendants d’oreilles encadrent son visage. Jamais on ne la croirait servante. En effet, pour Rembrandt, elle ne l’est et ne le fut jamais ; elle lui est la jeunesse, la fraîcheur et la volupté. Elle a les lèvres neuves, le teint rayonnant. Elle lui arrive, avec, entre ses mains, la bonté, l’ardeur, l’admiration. Il est à l’âge où les hommes puissants comme lui éprouvent, en leur être total, un renouveau de force et de fierté. Il n’importe que Henriette ne soit ni régulièrement ni classiquement belle. Il se charge de l’orner et de la grandir si merveilleusement qu’elle apparaîtra sur ses toiles aussi imposante et aussi parfaite que les femmes les plus célèbres. Il la voit avec des yeux d’artiste transfigurateur ; il l’entoure de tout son amour. Elle lui sert, comme Saskia, à s’évader de la réalité et à le transporter dans sa