Page:Verlaine - Œuvres complètes, Vanier, II.djvu/90

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V


J’ai la fureur d’aimer. Mon cœur si faible est fou.
N’importe quand, n’importe quel et n’importe où,
Qu’un éclair de beauté, de vertu, de vaillance
Luise, il s’y précipite, il y vole, il s’y lance,
Et, le temps d’une étreinte, il embrasse cent fois
L’être ou l’objet qu’il a poursuivi de son choix ;
Puis, quand l’illusion a replié son aile,
Il revient triste et seul bien souvent, mais fidèle,
Et laissant aux ingrats quelque chose de lui,
Sang ou chair. Mais, sans plus mourir dans son ennui,
Il embarque aussitôt pour l’île des Chimères
Et n’en rapporte rien que des larmes amères
Qu’il savoure, et d’affreux désespoirs d’un instant,
Puis rembarque.
Puis rembarque. — Il est brusque et volontaire tant
Qu’en ses courses dans les infinis il arrive,
Navigateur têtu, qu’il va droit à la rive,
Sans plus s’inquiéter que s’il n’existait pas
De l’écueil proche qui met son esquif à bas.