Page:Verlaine - Œuvres complètes, Vanier, IV.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
24
les poètes maudits


Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l’amour.

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs, et les courants, je sais le soir,
L’Aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes,
Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir.

J’ai vu le soleil bas, taché d’horreurs mystiques
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques,
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets ;

J’ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baisers montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouies,
Et l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs.

J’ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l’assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs ;

J’ai heurté, savez-vous, d’incroyables Florides,
Mêlant au fleurs des yeux de panthères à peaux
D’hommes, des arcs-en-ciel tendus comme des brides,
Sous l’horizon des mers, à de glauques troupeaux ;

J’ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan,
Des écroulements d’eaux au milieu des bonaces,
Et les lointains vers les gouffres cataractant !