Page:Verlaine - Jadis et Naguère, 1891.djvu/141

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« En terreurs vaines, ô ma Reine. Je te dis
« Qu’il te faut rebrousser chemin du Paradis,
« Vain séjour du bonheur banal et solitaire
« Pour l’amour avec moi ! Les amours de la terre
« Ont, tu le sais, de ces instants chastes et lents :
« L’âme veille, les sens se taisent somnolents,
« Le cœur qui se repose et le sang qui s’affaisse
« Font dans tout l’être comme une douce faiblesse.
« Plus de désirs fiévreux, plus d’élans énervants,
« On est des frères et des sœurs et des enfants,
« On pleure d’une intime et profonde allégresse,
« On est les cieux, on est la terre, enfin on cesse
« De vivre et de sentir pour s’aimer au delà,
« Et c’est l’éternité que je t’offre, prends-la !
« Au milieu des tourments nous serons dans la joie.
« Et le Diable aura beau meurtrir sa double proie,
« Nous rirons, et plaindrons ce Satan sans amour.
« Non, les Anges n’auront dans leur morne séjour
« Rien de pareil à ces délices inouïes ! » —


La Comtesse est debout, paumes épanouies.
Elle fait le grand cri des amours surhumains.
Puis se penche et saisit avec pâles mains
La tête qui, merveille ! a l’aspect de sourire.
Un fantôme de vie et de chair semble luire