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POÈMES SATURNIENS


Ses lèvres font ce sourd et long marmottement,
Dernier signe de vie et premier d’agonie,
— Et son haleine pue épouvantablement.

Dans sa barbe couleur d’amarante ternie,
Parmi ses cheveux blancs où luisent des tons roux,
Sous son linge bordé de dentelle jaunie,

Avides, empressés, fourmillants, et jaloux
De pomper tout le sang malsain du mourant fauve
En bataillons serrés vont et viennent les poux.

C’est le Roi, ce mourant qu’assiste un mire chauve,
Le Roi Philippe Deux d’Espagne, — saluez ! —
Et l’aigle autrichien s’effare dans l’alcôve,

Et de grands écussons, aux murailles cloués,
Brillent, et maints drapeaux où l’oiseau noir s’étale
Pendent de çà de là, vaguement remués !…

— La porte s’ouvre. Un flot de lumière brutale
Jaillit soudain, déferle et bientôt s’établit
Par l’ampleur de la chambre en nappe horizontale ;

Porteurs de torches, roux, et que l’extase emplit,
Entrent dix capucins qui restent en prière :
Un d’entre eux se détache et marche droit au lit.