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les poètes maudits


Nommez-nous… vous de qui les souris framboisés
Sont un troupeau poudré d’agneaux apprivoisés
Qui vont broutant les cœurs et bêlant aux délires,

Nommez-nous… et Boucher sur un rose éventail
Me peindra flûte aux mains endormant ce bercail,
Duchesse, nommez-moi berger de vos sourires.

(1862)


Hein, la fleur de serre sans prix ! Cueillie, de quelle joie sorte ! de la main si forte du maître ouvrier qui forgeait

LE GUIGNON

Au-dessus du bétail écœurant des humains
Bondissaient par instants les sauvages crinières
Des mendieurs d’azur perdus dans nos chemins.

Un vent mêlé de cendre effarait leurs bannières
Où passe le divin gonflement de la mer
Et creusait autour d’eux de sanglantes ornières.

La tête dans l’orage ils défiaient l’Enfer,
Ils voyageaient sans pains, sans bâtons et sans urnes,
Mordant au citron d’or de l’Idéal amer.

La plupart ont râlé dans des ravins nocturnes,
S’enivrant du plaisir de voir couler son sang.
La mort fut un baiser sur ces fronts taciturnes.