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PAYSAGES LUNAIRES.

— Va pour des rainures, répondit docilement Michel. Seulement qu’entend-on par des rainures dans le monde scientifique ? »

Barbicane apprit aussitôt à son compagnon ce qu’il savait des rainures lunaires. Il savait que c’étaient des sillons observés sur toutes les parties non montagneuses du disque ; que ces sillons, le plus souvent isolés, mesurent de quatre à cinquante lieues de longueur ; que leur largeur varie de mille à quinze cents mètres, et que leurs bords sont rigoureusement parallèles ; mais il n’en savait pas davantage, ni sur leur formation ni sur leur nature.

Barbicane, armé de sa lunette, observa ces rainures avec une extrême attention. Il remarqua que leurs bords étaient formés de pentes extrêmement raides. C’étaient de longs remparts parallèles, et avec quelque imagination on pouvait admettre l’existence de longues lignes de fortifications élevées par les ingénieurs sélénites.

De ces diverses rainures les unes étaient absolument droites et comme tirées au cordeau. D’autres présentaient une légère courbure tout en maintenant le parallélisme de leurs bords. Celles-ci s’entrecroisaient ; celles-là coupaient des cratères. Ici, elles sillonnaient des cavités ordinaires, telles que Posidonius ou Petavius ; là, elles zébraient les mers, telles que la Mer de la Sérénité.

Ces accidents naturels durent nécessairement exercer l’imagination des astronomes terrestres. Les premières observations ne les avaient pas découvertes, ces rainures. Ni Hévélius, ni Cassini, ni La Hire, ni Herschel ne paraissent les avoir connues. C’est Schrœter qui, en 1789, les signala pour la première fois à l’attention des savants. D’autres suivirent qui les étudièrent, tels que Pastorff, Gruithuysen, Beer et Mœdler. Aujourd’hui leur nombre s’élève à soixante-dix. Mais si on les a comptées, on n’a pas encore déterminé leur nature. Ce ne sont pas des fortifications à coup sûr, pas plus que d’anciens lits de rivières desséchées, car d’une part, les eaux si légères à la surface de la Lune n’auraient pu se creuser de tels déversoirs, et de l’autre, ces sillons traversent souvent des cratères placés à une grande élévation.

Il faut pourtant avouer que Michel Ardan eut une idée, et que, sans le savoir, il se rencontra dans cette circonstance avec Julius Schmidt.

« Pourquoi, dit-il, ces inexplicables apparences ne seraient-elles pas tout simplement des phénomènes de végétation ?

— Comment l’entends-tu ? demanda vivement Barbicane.

— Ne t’emporte pas, mon digne président, répondit Michel. Ne pourrait-il se faire que ces lignes sombres qui forment l’épaulement, fussent des rangées d’arbres disposés régulièrement ?

— Tu tiens donc bien à ta végétation ? dit Barbicane.