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LES FROIDS DE L’ESPACE.

Le président s’approcha de la vitre, et aperçut une sorte de sac aplati qui flottait extérieurement à quelques mètres du projectile. Cet objet semblait immobile comme le boulet, et par conséquent, il était animé du même mouvement ascensionnel que lui.

« Qu’est-ce que cette machine-là ? répétait Michel Ardan. Est-ce un des corpuscules de l’espace, que notre projectile retient dans son rayon d’attraction, et qui va l’accompagner jusqu’à la Lune ?

— Ce qui m’étonne, répondit Nicholl, c’est que la pesanteur spécifique de ce corps, qui est très-certainement inférieure à celle du boulet, lui permette de se maintenir aussi rigoureusement à son niveau !

— Nicholl, répondit Barbicane après un moment de réflexion, je ne sais pas quel est cet objet, mais je sais parfaitement pourquoi il se maintient par le travers du projectile.

— Et pourquoi ?

— Parce que nous flottons dans le vide, mon cher capitaine, et que dans le vide, les corps tombent où se meuvent — ce qui est la même chose — avec une vitesse égale, quelle que soit leur pesanteur ou leur forme. C’est l’air qui, par sa résistance, crée des différences de poids. Quand vous faites pneumatiquement le vide dans un tube, les objets que vous y projetez, grains de poussière ou grains de plomb, y tombent avec la même rapidité. Ici, dans l’espace, même cause et même effet.

— Très-juste, dit Nicholl, et tout ce que nous lancerons au-dehors du projectile ne cessera de l’accompagner dans son voyage jusqu’à la Lune.

— Ah ! bêtes que nous sommes ! s’écria Michel.

— Pourquoi cette qualification ? demanda Barbicane.

— Parce que nous aurions dû remplir le projectile d’objets utiles, livres, instruments, outils, etc. Nous aurions tout jeté, et « tout » nous aurait suivi à la traîne ! Mais j’y pense. Pourquoi ne nous promenons-nous pas au-dehors comme ce bolide ? Pourquoi ne nous lançons-nous pas dans l’espace par le hublot ? Quelle jouissance ce serait de se sentir ainsi suspendu dans l’éther, plus favorisé que l’oiseau qui doit toujours battre de l’aile pour se soutenir !

— D’accord, dit Barbicane, mais comment respirer ?

— Maudit air qui manque si mal à propos !

— Mais, s’il ne manquait pas, Michel, ta densité étant inférieure à celle du projectile, tu resterais bien vite en arrière.

— Alors, c’est un cercle vicieux.

— Tout ce qu’il y a de plus vicieux.

— Et il faut rester emprisonné dans son wagon ?

— Il le faut.