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au village des coquins

Vraiment, Cornélia eut bien de la peine à calmer ces enragés. Au fond, elle reconnaissait bien que tous les torts étaient du côté du sir Edward Turner ; elle ne pouvait nier que son mari d’abord, toute la famille ensuite, eussent été traités comme on ne se traiterait pas, même entre forains de la pire espèce !

Cependant, ne voulant pas laisser la situation s’empirer, elle ne céda point, elle tint tête à l’orage et, à la dernière volonté exprimée par son mari d’aller flanquer au baronnet une de ces piles qui… elle lui répondit :

« Je te le défends, César ! »

Et M. Cascabel, rongeant son frein, dut se soumettre aux ordres de sa femme.

Combien Cornélia avait hâte d’être au lendemain, d’avoir quitté ce maudit village ! Elle ne serait tranquille que lorsque toute la famille s’en trouverait à quelques milles dans le nord. Et, pour être bien certaine que personne ne sortirait pendant la nuit, non seulement elle ferma soigneusement la porte de la Belle-Roulotte, mais elle resta à veiller au-dehors.

Le lendemain, 27 mai, dès trois heures du matin, Cornélia éveilla tout le personnel. Pour plus de sécurité, elle voulait partir avant l’aube, alors que tous, Indiens et Anglais, seraient encore endormis. C’était le meilleur moyen d’empêcher la bataille de reprendre de plus belle. Et même à ce moment-là — détail à noter — il semblait que cette digne femme était singulièrement pressée de lever le campement. Très agitée, le regard inquiet, l’œil enflammé, regardant à droite, à gauche, elle harcelait, gourmandait, morigénait son mari, ses fils et Clou, qui ne se hâtaient pas assez au gré de son impatience.

« Dans combien de jours aurons-nous passé la frontière ? demanda-t-elle au guide.

— Dans trois jours, répondit Ro-No, si nous ne sommes pas retardés en route.

— En route !… réplique Cornélia. Et, surtout qu’on ne nous voie pas partir ! »