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kayette

premier trajet, toute liberté semblait laissée à la Belle-Roulotte de rouler à sa fantaisie. Il y avait même là de quoi surprendre. Aussi M. Cascabel était-il non moins surpris que satisfait.

Cornélia mettait le fait au compte de la Providence, et son mari n’était pas éloigné de penser comme elle. Jean, lui, inclinait à croire que quelque circonstance avait dû modifier les procédés de l’administration moscovite.

Les choses allèrent de la sorte pendant les 6 et 7 juin. On se rapprochait de Sitka. Peut-être encore la Belle-Roulotte aurait-elle pu marcher plus vite, si Cornélia n’eût redouté les secousses pour son blessé, que Kayette et elle ne cessaient de soigner, l’une comme une mère, l’autre comme une fille. Il était toujours à craindre qu’il n’atteignît pas vivant le terme du voyage. Si son état ne s’était point empiré, on ne pouvait malheureusement pas dire qu’il se fût amélioré. Les modiques ressources qu’offrait la petite pharmacie, le peu que ces deux femmes étaient à même de faire pour une blessure si grave et qui eût nécessité la présence d’un médecin, comment cela eût-il pu suffire ? Le dévouement ne saurait remplacer la science, — par malheur, — car jamais sœurs de charité ne se montrèrent plus dévouées. D’ailleurs chacun avait pu apprécier le zèle et l’intelligence de la jeune Indienne. Elle avait l’air de faire déjà partie de la famille. C’était en quelque sorte une seconde fille que le ciel avait donnée à Mme  Cascabel.

Le 7, dans l’après-midi, la Belle-Roulotte traversa à gué le Stekin-river, petit cours d’eau qui se jette dans l’une de ces étroites passes ménagées entre la terre ferme et l’île Baranof, à quelques lieues seulement de Sitka.

Dans la soirée, le blessé put prononcer quelques paroles :

« Mon père… là-bas… le revoir ! » murmurait-il.

Comme ces mots étaient dits en russe, M. Cascabel les avait très bien compris.

Il y avait aussi un nom qui fut répété à plusieurs reprises :

« Ivan… Ivan… »