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sitka.

nel, après un voyage de près de sept cents lieues depuis la sierra Nevada. En outre, il comptait faire dans cette ville deux ou trois bonnes recettes, qui viendraient grossir son petit pécule.

« Enfants, on n’est plus en Angleterre, dit-il, on est en Amérique, et il est permis de travailler devant des Américains ! »

M. Cascabel ne doutait pas, d’ailleurs, que le renom de sa famille n’eût déjà pénétré jusqu’au milieu des populations alaskiennes, et qu’on se dît à Sitka :

« Les Cascabel sont dans nos murs ! »

Cependant, après une conversation qui eut lieu deux jours plus tard entre le Russe et M. Cascabel, ces projets furent tant soit peu modifiés, sauf en ce qui concernait un repos de quelques jours, nécessité par les fatigues du voyage. Ce Russe — dans la pensée de Cornélia, ce ne pouvait être qu’un prince — savait maintenant quels étaient les braves gens qui l’avaient sauvé, de pauvres artistes forains qui couraient l’Amérique. Tous les Cascabel lui avaient été présentés, ainsi que la jeune Indienne, à laquelle il devait d’avoir échappé à la mort.

Et, un soir, le personnel entier étant réuni, il raconta son histoire, ou du moins, ce qu’il leur importait d’en connaître. Il parlait le français avec une grande facilité, comme si cette langue eut été la sienne, à cela près qu’il faisait un peu rouler les r — ce qui donne au parler moscovite une inflexion à la fois douce et énergique, à laquelle l’oreille trouve un charme particulier.

Du reste, ce qu’il raconta était extrêmement simple. Rien de très aventureux, rien de romanesque non plus.

Le Russe s’appelait Serge Wassiliowitch — et, à partir de ce jour, avec sa permission, on ne l’appela plus que « Monsieur Serge » dans la famille Cascabel. De tous ses parents, il n’avait plus que son père, qui habitait un domaine situé dans le gouvernement de Perm, à peu de distance de la ville de ce nom. M. Serge, entraîné par ses instincts de voyageur et ses goûts pour les découvertes et recherches géographiques, avait quitté la Russie trois ans auparavant.