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sitka.

séparerait de la famille. Mais, à présent seule au monde, ne devait-elle pas rester à Sitka, puisqu’elle y était venue afin d’entrer en service et de gagner sa vie en qualité de servante, probablement dans des conditions misérables ?

« Et pourtant, disait quelquefois M. Cascabel, si cette gentille Kayette, — je demande à l’appeler ma petite caille — si ma petite caille avait du goût pour la danse, peut-être conviendrait-il de lui proposer ?… Hein ! quelle charmante danseuse elle ferait ! Et aussi quelle gracieuse écuyère, si elle était disposée à débuter dans un cirque ! Je suis sûr qu’elle monterait à cheval en vrai centaure ! »

Très sérieusement, M. Cascabel croyait que les centaures étaient d’excellents cavaliers, et il n’aurait pas fallu le contrarier à ce sujet.

Et voyant que Jean hochait la tête, lorsque son père parlait ainsi, M. Serge comprenait bien que ce garçon, sérieux et réservé, était loin de partager les idées paternelles en ce qui concernait l’acrobatie et autres exercices des troupes foraines.

On s’inquiétait beaucoup de Kayette, de ce qu’elle deviendrait, de l’existence qui l’attendait à Sitka, et cela ne laissait pas d’attrister lorsque, la veille du départ, M. Serge, la tenant par la main, l’amena devant la famille au complet.

« Mes amis, dit-il, je n’avais pas de fille, eh bien, j’en ai une à présent, une fille adoptive. C’est Kayette qui veut bien me considérer comme son père, et je vous demande place pour elle dans la Belle-Roulotte ! »

Quels cris de joie répondirent à M. Serge, et quelles caresses furent prodiguées à la « petite caille ! » Aussi M. Cascabel ne put-il s’empêcher de dire à son hôte, non sans quelque émotion :

« Quel brave homme vous êtes !

— Et pourquoi mon ami ? répondit M. Serge. Auriez-vous oublié ce que Kayette a fait pour moi ? N’est-il pas naturel qu’elle devienne mon enfant, puisque je lui dois la vie ?

— Eh bien ! partageons ! s’écria M. Cascabel. Puisque vous êtes son père, monsieur Serge, moi je serai son oncle ! »