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entre deux courants.

— Nous ferons tout pour ne point en être réduits là ! répondit M. Serge. Oui !… cette voiture, c’est notre salut, et nous essaierons de la sauver à tout prix…

— Ainsi il n’est pas possible de revenir en arrière ?… demanda M. Cascabel.

— Non, et il faut continuer d’aller en avant ! répondit M. Serge. Du courage, du sang-froid, et nous finirons bien par atteindre Numana ! »

Ces paroles eurent pour effet de ranimer tout le monde. Il était trop évident que le vent empêchait le retour vers l’îlot Diomède. Il soufflait du sud-est avec une telle impétuosité que ni bêtes ni gens n’eussent réussi à marcher contre lui. La Belle-Roulotte ne pouvait même plus demeurer stationnaire. Rien qu’en essayant de résister au déplacement de l’air, elle eût été chavirée.

Le jour s’était à demi fait vers dix heures — un jour blafard et brumeux. Les nuages, bas et déchiquetés, semblaient traîner des lambeaux de vapeur à travers le détroit, qu’ils balayaient furieusement. Dans le tourbillon des neiges, de petits éclats de glace, détachés du banc, volaient comme une mitraille de grêlons. En des conditions si pénibles, on ne fit qu’une demi-lieue pendant une heure et demie, car il fallait éviter les flaques d’eau et contourner les glaçons accumulés sur l’ice-field. Au-dessous, la houle du large lui imprimait de rudes oscillations, une sorte de roulis qui provoquait des craquements continus.

Soudain, vers midi trois quarts, une violente secousse se produisit. Un réseau de fissures étoila largement le champ en rayonnant autour du véhicule… Une crevasse, mesurant trente pieds de diamètre, s’était ouverte sous les pieds de l’attelage.

Sur un cri de M. Serge, ses compagnons s’arrêtèrent à quelques pas de cette crevasse.

« Nos chevaux !… Nos chevaux !… s’écria Jean. Père, sauvons nos chevaux !… »

Il était trop tard. La glace ayant fléchi, les deux malheureuses