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césar cascabel.

donc probable que le glaçon ne serait pas entraîné très loin vers l’ouest, car la mer se prenait dans les intervalles des icebergs. Jusqu’ici, il est vrai, cette « young ice », comme disent les baleiniers, cédait au moindre choc. Les blocs, dispersés au large, ne laissant entre eux que d’étroites passes, le glaçon se heurtait parfois à des masses considérables ; mais, après une immobilité de quelques heures, il se remettait en route. Néanmoins, il fallait prévoir un arrêt très prochain, qui durerait pendant tout l’hivernage.

Le 3 décembre, vers midi, M. Serge et Jean s’étaient rendus sur l’avant du glaçon. Kayette, Napoléone et Sandre les avaient accompagnés, étroitement enveloppés de fourrures, car le froid était vif. Vers le sud, c’est à peine si une légère lueur indiquait que le soleil passait au méridien. L’incertaine clarté qui flottait à travers l’espace était due sans doute à quelque lointaine aurore boréale.

L’attention était vivement sollicitée alors par les mouvements des icebergs, leurs formes bizarres, les chocs qui se produisaient et aussi les culbutes de quelques blocs dont la base, rongée en dessous, ne pouvait plus assurer l’équilibre.

Soudain, l’iceberg, qui s’était soudé deux jours avant, oscilla, fut culbuté, et dans sa chute, brisa le bord du glaçon qu’il inonda d’une énorme lame.

Tous s’étaient reculés précipitamment ; mais, presque aussitôt, des cris retentirent :

« À moi !… À moi !… Jean ! »

C’était Kayette… Elle se trouvait sur le fragment qui venait d’être détaché par le choc, et elle était emportée.

« Kayette !… Kayette ! » s’écria Jean.

Mais ce morceau de glace, pris par un courant latéral, s’éloignait en longeant l’arête du glaçon, alors immobilisé par un remous. Encore quelques instants, et Kayette aurait disparu au milieu du flottement des icebergs.

« Kayette !… Kayette !… criait Jean.