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une longue journée.

— On ne se fait pas une raison, Cornélia, on se sert de celle qu’on possède, et on raisonne comme on peut ! Il est certain que M. Serge devrait être revenu à l’heure qu’il est, et que nous en sommes encore à l’attendre !…

— Soit, César, mais personne ne peut soupçonner qu’il est le comte Narkine.

— Non… personne, en vérité, personne… à moins que…

— Qu’est-ce que cela signifie ?… À moins que ?… Voilà maintenant que tu te mets à parler comme Clou-de-Girofle !… Qu’entends-tu par là ?… Il n’y a que toi et moi à savoir le secret de M. Serge… Crois-tu donc que j’aie pu le trahir ?…

— Toi, Cornélia, jamais !… Ni moi !…

— Eh bien, alors…

— Eh bien, il y a à Perm des gens qui ont été autrefois en rapport avec le comte Narkine et ils ont pu le reconnaître !… Cela doit paraître singulier qu’il y ait un Russe dans notre troupe !… Enfin, Cornélia, il est possible que j’exagère, mais l’affection que j’ai pour M. Serge ne me permet pas de rester tranquille !… Il faut que j’aille, que je vienne…

— César, prend garde, à ton tour, d’exciter les soupçons ! fit très judicieusement observer Cornélia. Et, surtout, ne va pas te compromettre en interrogeant mal à propos les gens et faire des demandes indiscrètes ! Je trouve comme toi que ce retard est fâcheux, et j’aimerais mieux que M. Serge fût ici ! Pourtant, je ne mets pas les choses au pis, et je pense qu’il aura été tout bonnement retenu au château de Walska, près du prince Narkine. À présent qu’il fait plein jour, il n’ose pas repartir, je le comprends, mais il reviendra dans la nuit prochaine. Ainsi, César, pas de bêtises ! Du sang-froid, et songe que tu vas jouer ce rôle de Fracassar, qui est l’un des plus grands succès de ta carrière ! »

On ne pouvait mieux raisonner que cette femme de tant de bon sens, et on ne s’explique guère pourquoi son mari se refusait à lui faire connaître la vérité. Après tout, peut-être n’avait-il pas tort. Qui