Page:Verne - Cinq Semaines en ballon.djvu/108

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est gouvernée par trois sultans, et ne forme qu’une presqu’île à marée basse.

Le Victoria abordait le lac plus au nord, au grand regret du docteur, qui aurait voulu en déterminer les contours inférieurs. Les bords, hérissés de buissons épineux et de broussailles enchevêtrées, disparaissaient littéralement sous des myriades de moustiques d’un brun clair ; ce pays devait être inhabitable et inhabité ; on voyait des troupes d’hippopotames se vautrer dans des forêts de roseaux ou s’enfuir sous les eaux blanchâtres du lac.

Celui-ci, vu de haut, offrait vers l’ouest un horizon si large qu’on eût dit une mer ; la distance est assez grande entre les deux rives pour que des communications ne puissent s’établir ; d’ailleurs les tempêtes y sont fortes et fréquentes, car les vents font rage dans ce bassin élevé et découvert.

Le docteur eut de la peine à se diriger ; il craignait d’être entraîné vers l’est ; mais heureusement un courant le porta directement au nord, et, à six heures du soir, le Victoria s’établit dans une petite île déserte, par 0° 30′ de latitude, et 32° 52′ de longitude à vingt milles de la côte.

Les voyageurs purent s’accrocher à un arbre, et, le vent s’étant calmé vers le soir, ils demeurèrent tranquillement sur leur ancre. On ne pouvait songer à prendre terre ; ici, comme sur les bords du Nyanza, des légions de moustiques couvraient le sol d’un nuage épais. Joe, même, revint de l’arbre couvert de piqûres ; mais il ne se fâcha pas, tant il trouvait cela naturel de la part des moustiques.

Néanmoins, le docteur, moins optimiste, fila le plus de corde qu’il put, afin d’échapper à ces impitoyables insectes qui s’élevaient avec un murmure inquiétant.

Le docteur reconnut la hauteur du lac au-dessus du niveau de la mer, telle que l’avait déterminée le capitaine Speke, soit trois mille sept cent cinquante pieds.

« Nous voici donc dans une île ! dit Joe, qui se grattait à se rompre les poignets.

— Nous en aurions vite fait le tour, répondit le chasseur, et, sauf ces aimables insectes, on n’y aperçoit pas un être vivant.

— Les îles dont le lac est parsemé, répondit le docteur Fergusson, ne sont, à vrai dire, que des sommets de collines immergées ; mais nous sommes heureux d’y avoir rencontré un abri, car les rives du lac sont habitées par des tribus féroces. Dormez donc, puisque le ciel nous prépare une nuit tranquille.

— Est-ce que tu n’en feras pas autant, Samuel ?