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Page:Verne - Cinq Semaines en ballon.djvu/122

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— La hauteur de ces banians est vraiment merveilleuse, mon cher Dick ; et cependant elle n’aurait rien d’étonnant dans les forêts du Nouveau-Monde.

— Comment ! il existe des arbres plus élevés ?

— Sans doute, parmi ceux que nous appelons les « mammouth trees ». Ainsi, en Californie, on a trouvé un cèdre élevé de quatre cent cinquante pieds, hauteur qui dépasse la tour du Parlement, et même la grande pyramide d’Égypte. La base avait cent vingt pieds de tour, et les couches concentriques de son bois lui donnaient plus de quatre mille ans d’existence.

— Eh ! monsieur, cela n’a rien d’étonnant alors ! Quand on vit quatre mille ans, quoi de plus naturel que d’avoir une belle taille ? »

Mais, pendant l’histoire du docteur et la réponse de Joe, la forêt avait déjà fait place à une grande réunion de huttes circulairement disposées autour d’une place. Au milieu croissait un arbre unique, et Joe de s’écrier à sa vue :

« Eh bien ! s’il y a quatre mille ans que celui-là produit de pareilles fleurs, je ne lui en fais pas mon compliment. »

Et il montrait un sycomore gigantesque dont le tronc disparaissait en entier sous un amas d’ossements humains. Les fleurs dont parlait Joe étaient des têtes fraîchement coupées, suspendues à des poignards fixés dans l’écorce.

« L’arbre de guerre des cannibales ! dit le docteur. Les Indiens enlèvent la peau du crâne, les Africains la tête entière.

— Affaire de mode », dit Joe.


L’arbre des cannibales.


Mais déjà le village aux têtes sanglantes disparaissait à l’horizon ; un autre plus loin offrait un spectacle non moins repoussant ; des cadavres à demi dévorés, des squelettes tombant en poussière, des membres humains épars çà et là, étaient laissés en pâture aux hyènes et aux chacals.

« Ce sont sans doute les corps des criminels ; ainsi que cela se pratique dans l’Abyssinie, on les expose aux bêtes féroces, qui achèvent de les dévorer à leur aise, après les avoir étranglés d’un coup de dent.

— Ce n’est pas beaucoup plus cruel que la potence, dit l’Écossais. C’est plus sale, voilà tout.

— Dans les régions du sud de l’Afrique, reprit le docteur, on se contente de renfermer le criminel dans sa propre hutte, avec ses bestiaux, et peut-être sa famille ; on y met le feu, et tout brûle en même temps. J’appelle cela de la cruauté, mais j’avoue avec Kennedy que, si la potence est moins cruelle, elle est aussi barbare. »

Joe, avec l’excellente vue dont il se servait si bien, signala quelques bandes d’oiseaux carnassiers qui planaient à l’horizon.