Page:Verne - Cinq Semaines en ballon.djvu/175

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

estompé par la brume, se dessinait vaguement ; la monotonie disparaissait.

Le docteur saluait avec joie cette contrée nouvelle, et, comme un marin en vigie, il était sur le point de s’écrier :

« Terre ! terre ! »

Une heure plus tard, le continent s’étalait sous ses yeux, d’un aspect encore sauvage, mais moins plat, moins nu ; quelques arbres se profilaient sur le ciel gris.

« Nous sommes donc en pays civilisé ? dit le chasseur.

— Civilisé, monsieur Dick ? c’est une manière de parler ; on ne voit pas encore d’habitants.

— Ce ne sera pas long, répondit Fergusson, au train dont nous marchons.

— Est-ce que nous sommes toujours dans le pays des nègres, monsieur Samuel ?

— Toujours, Joe, en attendant le pays des Arabes.

— Des Arabes, monsieur, de vrais Arabes, avec leurs chameaux ?

— Non, sans chameaux ; ces animaux sont rares, pour ne pas dire inconnus dans ces contrées ; il faut remonter quelques degrés au nord pour les rencontrer.

— C’est fâcheux.

— Et pourquoi, Joe ?

— Parce que, si le vent devenait contraire, ils pourraient nous servir.

— Comment ?

— Monsieur, c’est une idée qui me vient : on pourrait les atteler à la nacelle et se faire remorquer par eux. Qu’en dites-vous ?

— Mon pauvre Joe, cette idée, un autre l’a eue avant toi ; elle a été exploitée par un très spirituel auteur français[1]… dans un roman, il est vrai. Des voyageurs se font traîner en ballon par des chameaux ; arrive un lion qui dévore les chameaux, avale la remorque, et traîne à leur place ; ainsi de suite. Tu vois que tout ceci est de la haute fantaisie et n’a rien de commun avec notre genre de locomotion.

Joe, un peu humilié à la pensée que son idée avait déjà servi, chercha quel animal aurait pu dévorer le lion ; mais il ne trouva pas et se remit à examiner le pays.

Un lac d’une moyenne étendue s’étendait sous ses regards, avec un amphithéâtre de collines qui n’avaient pas encore le droit de s’appeler des montagnes ; là serpentaient des vallées nombreuses et fécondes, et leurs inextricables fouillis d’arbres les plus variés ; l’élaïs dominait cette

  1. M. Méry.