— Empêcher une folie sans nom !
— Une folie ? dit le docteur.
— Est-ce vrai ce que raconte ce journal, répondit Kennedy en tendant le numéro du Daily Telegraph.
— Ah ! c’est de cela que tu parles ! Ces journaux sont bien indiscrets ! Mais assois-toi donc, mon cher Dick.
— Je ne m’assoirai pas. Tu as parfaitement l’intention d’entreprendre ce voyage ?
— Parfaitement ; mes préparatifs vont bon train, et je…
— Où sont-ils que je les mette en pièces, tes préparatifs ? Où sont-ils que j’en fasse des morceaux ? »
Le digne Écossais se mettait très sérieusement en colère.
« Du calme, mon cher Dick, reprit le docteur. Je conçois ton irritation. Tu m’en veux de ce que je ne t’ai pas encore appris mes nouveaux projets.
— Il appelle cela de nouveaux projets !
— J’ai été fort occupé, reprit Samuel sans admettre l’interruption, j’ai eu fort à faire ! Mais sois tranquille, je ne serais pas parti sans t’écrire.
— Eh ! je me moque bien…
— Parce que j’ai l’intention de t’emmener avec moi. »
L’Écossais fit un bond qu’un chamois n’eût pas désavoué.
« Ah ça ! dit-il, tu veux donc qu’on nous renferme tous les deux à l’hôpital de Betlehem[1] !
— J’ai positivement compté sur toi, mon cher Dick, et je t’ai choisi à l’exclusion de bien d’autres. »
Kennedy demeurait en pleine stupéfaction.
« Quand tu m’auras écouté pendant dix minutes, répondit tranquillement le docteur, tu me remercieras.
— Tu parles sérieusement ?
— Très sérieusement.
— Et si je refuse de t’accompagner ?
— Tu ne refuseras pas.
— Mais enfin, si je refuse ?
— Je partirai seul.
— Asseyons-nous, dit le chasseur, et parlons sans passion. Du moment que tu ne plaisantes pas, cela vaut la peine que l’on discute.
— Discutons en déjeunant, si tu n’y vois pas d’obstacle, mon cher Dick. »
- ↑ Hôpital de fous à Londres.