Page:Verne - Cinq Semaines en ballon.djvu/205

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leurs, dans la position actuelle, sa manœuvre devenait fort périlleuse, car le Victoria risquait de s’enlever avant qu’il ne l’eût rejoint.

Le docteur, ne voulant pas courir une pareille chance, fit rentrer l’Écossais dans la nacelle et se résigna à couper la corde de l’ancre. Le Victoria fit un bond de trois cents pieds dans l’air, et prit directement la route du nord.

Fergusson ne pouvait qu’obéir à cette tourmente ; il se croisa les bras et s’absorba dans ses tristes réflexions.

Après quelques instants d’un profond silence, il se retourna vers Kennedy non moins taciturne.

« Nous avons peut-être tenté Dieu, dit-il. Il n’appartenait pas à des hommes d’entreprendre un pareil voyage ! »

Et un soupir de douleur s’échappa de sa poitrine.

« Il y a quelques jours à peine, répondit le chasseur, nous nous félicitions d’avoir échappé à bien des dangers ! Nous nous serrions la main tous les trois !

— Pauvre Joe ! bonne et excellente nature ! cœur brave et franc ! Un moment ébloui par ses richesses, il faisait volontiers le sacrifice de ses trésors ! Le voilà maintenant loin de nous ! Et le vent nous emporte avec une irrésistible vitesse !

— Voyons, Samuel, en admettant qu’il ait trouvé asile parmi les tribus du lac, ne pourra-t-il faire comme les voyageurs qui les ont visitées avant nous, comme Denham, comme Barth ? Ceux-là ont revu leur pays.

— Eh ! mon pauvre Dick, Joe ne sait pas un mot de la langue ! Il est seul et sans ressources ! Les voyageurs dont tu parles ne s’avançaient qu’en envoyant aux chefs de nombreux présents, au milieu d’une escorte, armés et préparés pour ces expéditions. Et encore, ils ne pouvaient éviter des souffrances et des tribulations de la pire espèce ! Que veux-tu que devienne notre infortuné compagnon ? C’est horrible à penser, et voilà l’un des plus grands chagrins qu’il m’ait été donné de ressentir !

— Mais nous reviendrons, Samuel.

— Nous reviendrons, Dick, dussions-nous abandonner le Victoria, quand il nous faudrait regagner à pied le lac Tchad et nous mettre en communication avec le sultan du Bornou ! Les Arabes ne peuvent avoir conservé un mauvais souvenir des premiers Européens.

— Je te suivrai, Samuel, répondit le chasseur avec énergie, tu peux compter sur moi ! Nous renoncerons plutôt à terminer ce voyage ! Joe s’est dévoué pour nous, nous nous sacrifierons pour lui ! »

Cette résolution ramena quelque courage au cœur de ces deux hommes. Ils se sentirent forts de la même idée. Fergusson mit tout en œuvre pour