Page:Verne - Cinq Semaines en ballon.djvu/228

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— Si le vent ne nous écarte pas trop, je compte rencontrer cette ville mardi vers le soir.

— Alors, fit Joe en indiquant une longue file de bêtes et d’hommes qui serpentait en plein désert, nous arriverons plus vite que cette caravane. »

Fergusson et Kennedy se penchèrent et aperçurent une vaste agglomération d’êtres de toute espèce ; il y avait là plus de cent cinquante chameaux, de ceux qui pour douze mutkals d’or[1] vont de Tembouctou à Tafilet avec une charge de cinq cents livres sur le dos ; tous portaient sous la queue un petit sac destiné à recevoir leurs excréments, seul combustible sur lequel on puisse compter dans le désert.

Ces chameaux des Touaregs sont de la meilleure espèce ; ils peuvent rester de trois à sept jours sans boire, et deux jours sans manger ; leur vitesse est supérieure à celle des chevaux, et ils obéissent avec intelligence à la voix du khabir, le guide de la caravane. On les connaît dans le pays sous le nom de « mehari. »

Tels furent les détails donnés par le docteur, pendant que ses compagnons considéraient cette multitude d’hommes, de femmes, d’enfants, marchant avec peine sur un sable à demi mouvant, à peine contenu par quelques chardons, des herbes flétries et des buissons chétifs. Le vent effaçait la trace de leurs pas presque instantanément.

Joe demanda comment les Arabes parvenaient à se diriger dans le désert, et à gagner les puits épars dans cette immense solitude.

« Les Arabes, répondit Fergusson, ont reçu de la nature un merveilleux instinct pour reconnaître leur route ; là où un Européen serait désorienté, ils n’hésitent jamais ; une pierre insignifiante, un caillou, une touffe d’herbe, la nuance différente des sables, leur suffit pour marcher sûrement ; pendant la nuit, ils se guident sur l’étoile polaire ; ils ne font pas plus de deux milles à l’heure, et se reposent pendant les grandes chaleurs de midi ; ainsi jugez du temps qu’ils mettent à traverser le Sahara, un désert de plus de neuf cents milles. »

Mais le Victoria avait déjà disparu aux yeux étonnés des Arabes, qui devaient envier sa rapidité. Au soir, il passait par 2° 20′ de longitude[2], et, pendant la nuit, il franchissait encore plus d’un degré.

Le lundi, le temps changea complètement ; la pluie se mit à tomber avec une grande violence ; il fallut résister à ce déluge et à l’accroissement de poids dont il chargeait le ballon et la nacelle ; cette perpétuelle averse expliquait les marais et les marécages qui composaient uniquement

  1. Cent vingt-cinq francs.
  2. Le zéro du méridien de Paris.