« Pas un instant à perdre, lui dit son maître. Ne cherche pas à décrocher l’ancre ! Nous couperons la corde ! Suis-moi !
— Mais qu’y a-t-il donc ? demanda Joe en escaladant la nacelle.
— Qu’est-il arrivé ? fit Kennedy, sa carabine à la main.
— Regardez, répondit le docteur en montrant l’horizon.
— Eh bien ? demanda le chasseur.
— Eh bien ! la lune ! »
La lune, en effet, se levait rouge et splendide, un globe de feu sur un fond d’azur. C’était bien elle ! Elle et le Victoria !
Ou il y avait deux lunes, ou les étrangers n’étaient que des imposteurs, des intrigants, des faux dieux !
Telles avaient été les réflexions naturelles de la foule. De là le revirement.
Joe ne put retenir un immense éclat de rire. La population de Kazeh, comprenant que sa proie lui échappait, poussa des hurlements prolongés ; des arcs, des mousquets furent dirigés vers le ballon.
Mais un des sorciers fit un signe. Les armes s’abaissèrent ; il grimpa dans l’arbre, avec l’intention de saisir la corde de l’ancre, et d’amener la machine à terre.
Joe s’élança une hachette à la main.
« Faut-il couper ? dit-il.
— Attends, répondit le docteur.
— Mais ce nègre ?…
— Nous pourrons peut-être sauver notre ancre, et j’y tiens. Il sera toujours temps de couper. »
Le sorcier, arrivé dans l’arbre, fit si bien qu’en rompant les branches il parvint à décrocher l’ancre ; celle-ci, violemment attirée par l’aérostat, attrapa le sorcier entre les jambes, et celui-ci, à cheval sur cet hippogriffe inattendu, partit pour les régions de l’air.
La stupeur de la foule fut immense de voir l’un de ses Waganga s’élancer dans l’espace.
« Hurrah ! s’écria Joe pendant que le Victoria, grâce à sa puissance ascensionnelle, montait avec une grande rapidité.
— Il se tient bien, dit Kennedy ; un petit voyage ne lui fera pas de mal.
— Est-ce que nous allons lâcher ce nègre tout d’un coup ? demanda Joe.
— Fi donc ! répliqua le docteur ! nous le replacerons tranquillement à terre, et je crois qu’après une telle aventure, son pouvoir de magicien s’accroîtra singulièrement dans l’esprit de ses contemporains.