occupons depuis le départ, sont libres, et le jeune Chinois, suivi du docteur Tio-King, en profite pour se rapprocher. Pan-Chao sait que j’appartiens à la rédaction du XXe Siècle, et il a vraisemblablement autant le désir de causer avec moi que je l’ai de causer avec lui.
Je ne me suis pas trompé, c’est un vrai Parisien du boulevard sous l’habit d’un Céleste. Il a passé trois ans au milieu du monde où l’on s’amuse, et aussi du monde où l’on s’instruit. Fils unique d’un riche commerçant de Pékin, il a voyagé et voyage sous l’aile de ce Tio-King, sorte de docteur, qui est bien le plus nigaud des magots et des gogos, dont son élève se moque agréablement. Croirait-on que le docteur Tio-King, depuis qu’il a découvert sur les quais de la Seine ce bouquin de Cornaro, ne cherche qu’à conformer son existence à l’Art de vivre longtemps dans une santé parfaite ! La mesure convenable du boire et du manger, le régime que l’on doit suivre en chaque saison, la sobriété qui donne la vigueur à l’esprit, l’intempérance qui cause de très grands maux, le moyen de corriger un mauvais tempérament et de jouir d’une excellente santé jusqu’à un âge très avancé, cette ganache de Chinois chinoisant s’absorbe dans l’étude de ces préceptes si magistralement préconisés par le noble Vénitien. À ce sujet, Pan-Chao ne cesse de le larder d’intarissables et piquantes plaisanteries dont le bonhomme ne tient aucun compte.
Et, pas plus tard qu’à ce déjeuner, nous avons pu avoir quelques échantillons de sa monomanie, car le docteur, comme son élève, s’exprime dans un très pur français.
« Avant de commencer le repas, lui dit Pan-Chao, rappelez-moi, docteur, combien il existe de règles fondamentales pour trouver la juste mesure du boire et du manger ?
— Sept, mon jeune ami, répond Tio-King avec le plus grand sérieux. La première, c’est de ne prendre qu’une telle quantité de nourriture, qu’on puisse ne pas moins s’en appliquer ensuite à des fonctions purement spirituelles.