J’en reviens à mon idée ; il me faudrait un héros, et jusqu’à présent ses pas ne se font point entendre dans la coulisse…
Décidément, le moment est venu d’entrer en relation plus intime avec le seigneur Faruskiar. Peut-être sera-t-il moins fermé à présent qu’il ne voyage plus incognito. Nous sommes ses administrés, pour ainsi dire. Il est comme le Maire de notre bourgade roulante, et un Maire se doit à ceux qu’il gouverne. D’ailleurs, au cas que la fraude de Kinko serait découverte, je tiens à m’assurer la protection de ce haut fonctionnaire.
Notre train ne marche qu’à une vitesse modérée depuis qu’il a quitté Kachgar. Sur l’horizon opposé se dessinent les massifs du plateau de Pamir, puis, vers le sud-ouest, s’arrondit le Bolor, c’est-à-dire la ceinture kachgarienne, où pointe la cime du Tagharma, perdue entre les nuages.
Je ne sais trop comment occuper mon temps. Le major Noltitz n’a jamais visité ces territoires que traverse le Grand-Transasiatique, et je n’ai pas la ressource de prendre des notes sous sa dictée. Le docteur Tio-King ne lève pas le nez de dessus son Cornaro, et Pan-Chao me paraît posséder mieux Paris que Pékin et la Chine. En outre, lorsqu’il est venu en Europe, il a pris la voie de Suez et ne connaît pas plus le Turkestan oriental que le Kamtschatka. Cependant nous causons volontiers. C’est un aimable compagnon ; mais un peu moins d’amabilité et un peu plus d’originalité feraient autrement mon affaire.
J’en suis donc réduit à me promener d’un wagon à l’autre, flânant sur les plates-formes, interrogeant l’horizon, qui s’obstine à ne point répondre, écoutant de ci de là…
Tiens ! voici le trial et la dugazon, qui semblent se livrer à une conversation très animée. Je m’approche… Ils chantent à mi-voix. Je prête l’oreille :
« J’aim’ bien mes dindons… ons… ons »
dit Mme Caterna.
« J’aim’ bien mes moutons… ons… ons. »